L'antisémitisme insoumis, suite et fin
Depuis maintenant dix jours, tout notre esprit est occupé par Israël, par les pogroms du festival, de Be’eri, de Kfar Aza, de Sdérot et des autres villages du Sud, par le piège tendu à Israël, par le début de la guerre à Gaza et ses nombreuses victimes civiles. Je suis chaque minute l’actualité, hébété, inquiet, meurtri, et je peine à en dire quoique ce soit, à formuler quoique ce soit.
Parler aujourd’hui d’antisémitisme à gauche est comme un cheveu sur la soupe, c’était le sujet qui me préoccupait à la veille du samedi 7 octobre, et c’est un sujet qui s’est évanoui devant l’actualité des massacres. Or, très vite, les débats franco-français ont repris le dessus et les leaders insoumis se sont de nouveau montrés indignes, re-actualisant encore le sujet de l’antisémitisme à gauche.
Hier, le Réseau d’Action contre l’Antisémitisme et le Racisme (RAAR) a organisé une rencontre avec les représentants de divers partis de la gauche, EELV, Place publique, Gauche éco-socialiste, Ensemble et bien sûr LFI, pour aborder leur travail de lutte contre l’antisémitisme. (Les autres n’ayant pu être joints ou ayant décliné). Cette rencontre était prévue de longue date, et plutôt que de la reporter une nouvelle fois, les organisateurs ont estimé, à raison, que les réactions françaises (et insoumises en particulier) au conflit israélo-palestinien la rendaient plus que jamais d’actualité.
Nous sommes en effet nombreux à signaler la faillite de la gauche dans la lutte contre l’antisémitisme, que ce soit son insensibilité ou son indifférence à l’antisémitiisme, l’incapacité à reconnaître ce qui peut être antisémite dans ses discours, sans parler des tropes antisémites de Mélenchon et de sa garde rapprochée, son antisionisme mythologique (qui fait d’Israël et du sionisme le pivot d’absolument tout, qui se préoccupe davantage de la mission des Juifs parmi les nations que du sort des Palestiniens). Pas besoin de revenir dessus, le travail d’analyse a largement été fait ces deux dernières années pour le temps court, depuis Robert Misrahi ou Joseph Gabel pour le temps long. Les partis de gauche présents hier – même si je reviendrai plus loin sur le cas de LFI – partageaient ce constat, encore répété par Sandrine Rousseau au micro de Frédéric Haziza hier matin.
Le représentant d’EELV, Grégory Gutierez, est revenu, avec beaucoup de justesse et d’honnêteté intellectuelle, sur la genèse du groupe de travail écolo sur l’antisémitisme : tout le monde était convaincu de sa propre absence d’antisémitisme qu’il n’imaginait pas devoir parler d’antisémitisme, tant cela semblait évident ; c’est en en parlant explicitement que l’on peut prendre conscience de la faillite de la gauche dans la lutte contre l’antisémitisme et du divorce des Juifs et de la gauche, expliqua-t-il. (Mais à vrai dire, qu’EELV combatte l’antisémitisme est une chose, et ce groupe de travail permet effectivement de clarifier leur position dans la lutte contre l’antisémitisme, mais quand on parle d’antisémitisme à gauche, que la gauche doit expulser de son sein, on ne parle ni d’EELV, ni du PS, on ne parle presque exclusivement que de LFI.)
Nous étions aussi nombreux à ne pas nous satisfaire de la façon dont les institutions juives mainstream, le centre, le camp dit laïque ou républicain traitent cette question, à les trouver inefficaces (pour ma part, contrairement à la plupart des auditeurs du RAAR, je me reconnais dans ces institutions et dans ce camp politique), et c’est pour cela que le RAAR a organisé cette rencontre hier : dialoguer plutôt que brocarder, disqualifier, parce que l’on croit – ou l’on croyait – que cela sert à quelque chose, qu’il y a bien quelque chose à sauver pour les Juifs et pour la gauche, que les Juifs ont un avenir à gauche, et que si la gauche, aujourd’hui menée par LFI — et cela, on ne le choisit pas —, revient au pouvoir alors il faut qu’elle soit digne sur la question de l’antisémitisme. A titre personnel, j’ai essayé autant que j’ai pu l’année écoulée de convaincre qui je pouvais au CRIF de changer de stratégie vis-à-vis de LFI, par exemple de répondre positivement à la proposition d’Alexis Corbière cet été après la quarante-troisième polémique autour de Mélenchon (et sa fascination-répulsion pour le CRIF). J’ai pu discuter avec eux, au CRIF, ou bien avec des amis laïques / républicains, de comment l’Eglise a basculé, sans que les Juifs n’aient à avaler des couleuvres sur l’antijudaïsme chrétien, comment Jules Isaac a écrit à la fois L’enseignement du mépris où il explique méthodiquement tous les motifs de l’antijudaïsme chrétien et à la fois a travaillé à l’enseignement de l’estime, a permis à l’Eglise, par son sens acharné du dialogue, lui et d’autres Juifs, de faire preuve d’intelligence, de lucidité, de volonté, de courage.
Je l’abordais longuement l’an dernier dans ce post:
Dans ce raisonnement, tout me semblait aller de soi, mais je butais sur quelque chose. Quand je lis que Serge et Beate Klarsfeld ont accepté la médaille de Perpignan des mains du lepeniste Louis Aliot, je ne me dis pas : tiens, voilà une victoire dans la lutte contre l’antisémitisme, le RN fait un travail de mémoire sur la Shoah comme Chirac au Vel d’Hiv, non, ma réaction instinctive, irréfléchie, était que les Klarsfeld avaient été instrumentalisés par le RN.
Aujourd’hui, je me dis la même chose de LFI. D’instinct, on ne peut plus parler à LFI, il n’y a rien à y gagner. C’est pour ça que je parle au passé, parce que ce qu’il s’est produit la semaine passée est complètement indigne et me décourage complètement. J’ai vu une gauche insoumise insensible aux massacres de civils juifs, qui préfère monopoliser le temps médiatique pour des débats léonins sur tel ou tel mot, qui estime que ce serait une défaite politique, une injonction aux oukases du CRIF que de céder un pouce dans ses discours, une gauche insoumise incapable de penser l’évènement, à qui il n’importe que de démontrer que son logiciel idéologique est sauvé malgré la guerre et les massacres, des députés qui se victimisent de manière honteuse (un député a parlé de lapidation : n’importe quel Juif qui a grandi pendant la seconde Intifida n’a pas arrêté de penser ces derniers jours à l’image obsédante du lynchage en octobre 2000 de deux réservistes par une foule fanatisée), des députés qui monopolisent le temps médiatique pour s’indigner de la violence symbolique d’un chanteur de variétés, d’un vieillard sous le coup de l’émotion dans une émission café du commerce. Je ne parle même pas du négationnisme face aux horreurs de Kfar Aza, de Be’eri, de Re’im, de Sderot, déguisé en doute méthodique autocentré, ce qui était du reste les méthodes de Faurisson en son temps. (Pas de députés ici, mais des militants nombreux sur les réseaux sociaux, des figures intellectuelles, e.g. Daniel Schneidermann d’ASI, qui jubilent qu’un journaliste du “Monde” dise ne pas avoir entendu de témoignage du massacre de nourrissons, sans le démentir pour autant)
Que Mélenchon et son petit cercle soient en leur for intérieur inquiets, c’est une chose, qu’ils jouent les narcisses geignards à la télé, dans l’hémicycle, sur Twitter, en conférence de presse pour vendre son livre – là encore, la campagne promo de son livre semble être une victime du conflit — et occupent une telle place médiatique, au détriment du récit des massacres et de la guerre, c’en est une autre. Qu’ils se taisent !
Hier, à la rencontre du RAAR, Danièle Obono, pour LFI, a tout de même eu le courage de venir s’adresser à un public défavorable – ceux qui dénoncent l’antisémitisme insoumis –, a montré qu’elle était parfaitement consciente que la France insoumise était le noeud du problème dans la formulation commode “d’antisémitisme à gauche” et a fait l’effort de venir s’expliquer sur ce que fait déjà, selon elle, LFI dans la lutte contre l’antisémitisme. Mais après ces déclarations de bonnes intentions, le ton de son discours était circulez y’a rien à voir, on combat déjà l’antisémitisme (sous le vocable de racisme), on, et Mélenchon en particulier, est dénués de tout antisémitisme (le suffixe à gauche expulsé à peu de frais) et surtout la qualification de l’antisémitisme insoumis est une insulte qui n’appelle aucune réponse, aucun travail.
Bref, c’est non seulement navrant, c’est désolant et décourageant. A titre personnel, je n’ai plus aucune envie de chercher un dialogue constructif entre ce qu’il y a sauver de LFI et les institutions juives, pointer et disqualifier me suffit désormais.